La bière la plus forte du monde : histoire et origine

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Personne n’a jamais fixé de plafond. Tandis que les spiritueux subissent la loupe des réglementations, la bière, elle, échappe à toute règle mondiale sur son taux d’alcool. Écossais, Allemands, Américains : ces brasseurs rivalisent d’audace, franchissant les frontières de l’imaginable pour produire des bières dont la puissance fait pâlir bien des eaux-de-vie.

Il faut le préciser : les bières que l’on retrouve au-dessus des 40 % d’alcool sortent des sentiers de la fermentation ordinaire. On entre ici dans le terrain du laboratoire, où la congélation fractionnée devient l’arme favorite. Ces expériences extrêmes remettent en question la définition même de la bière et remuent les codes établis du monde brassicole.

Pourquoi la quête de la bière la plus forte fascine-t-elle autant ?

La course à la bière la plus forte ne se limite pas à une performance de laboratoire. Elle nourrit l’imaginaire collectif, met en scène la rivalité entre brasseries, et façonne un récit autour de la transgression des limites. Chaque nouvelle prétendante au titre de « plus forte du monde » marque une joute silencieuse entre Écosse, Allemagne, États-Unis ou Pays-Bas, des terres où l’excès devient passeport pour la renommée. Les brasseries y voient une chance d’affirmer leur différence, de s’imposer dans la lumière, de secouer les traditions.

À mille lieues de la bière sans alcool, ce segment No-Low qui cartonne, le terrain des bières fortes joue dans une autre cour. Ces créations apparaissent lors de festivals comme le Festival of Wood & Barrel Aged Beer aux États-Unis ou « Bières et Saveurs » en France ; elles entrent dans la culture de l’exception. Dégustation au compte-goutte, verres spécialisés, cérémonial presque sacré. Même le flacon devient objet de collection : écureuil empaillé pour la BrewDog End of History, peau de serpent sur la Brewmeister Snake Venom.

Marketing audacieux, storytelling percutant, recherche de sensations inédites : l’extrême captive. Pour ceux qui aiment la rareté, déboucher une de ces bouteilles revient à s’emparer d’un morceau d’histoire brassicole. Pour les brasseurs, c’est aussi une quête de reconnaissance. La bière la plus forte s’érige alors en symbole, cristallisant le tiraillement entre héritage et innovation, entre maîtrise et témérité.

Des origines surprenantes : l’histoire des bières extrêmes

La histoire de la bière forte s’écrit au fil d’innovations et de détournements ingénieux. Déjà au XIXe siècle, l’Allemagne donne naissance à l’Eisbock : premier style à dépasser franchement les taux d’alcool habituels. En utilisant la distillation inversée, ou congélation, on retire l’eau pour concentrer l’alcool. Résultat : jusqu’à 14 %, loin devant les lagers classiques.

L’Angleterre, de son côté, imagine l’Imperial Stout, pensée pour survivre au long transit jusqu’en Russie. Beaucoup de malt, fermentation vigoureuse : on grimpe à 8-15 %. En Belgique, la Quadruple et le Barley Wine s’installent comme repères, nés dans les monastères trappistes ou les brasseries nord-européennes, flirtant avec les 13 % et plus.

Un obstacle biologique s’impose : la levure. Ce micro-organisme transforme le sucre en alcool, mais s’essouffle en général autour de 18 à 25 %. Les brasseurs cherchent alors des solutions, croisent les souches, multiplient les essais pour franchir ce plafond.

La quête de la bière plus forte traverse frontières et décennies. De la fermentation extrême à la gestion millimétrée du froid, chaque avancée technique marque une étape dans l’histoire hors norme de ce pan du patrimoine brassicole.

Classement des bières les plus fortes au monde : chiffres et anecdotes

La course à la bière la plus forte du monde n’est pas un simple concours de chiffres. Née de la rivalité entre brasseries artisanales, elle a ouvert la voie à toutes les audaces, parfois jusqu’à la provocation pure. Les records donnent le tournis : la Brewmeister Snake Venom, venue d’Écosse, affiche un taux d’alcool record de 67,5 %. Derrière ce chiffre, un ajout d’éthanol, franchissant la limite que la levure impose naturellement. La Brewmeister Armageddon suit de près avec 65 %, puis la néerlandaise Koelschip Start the Future (60 %) et la Schorschbräu Schorschbock 57 allemande (57 %), toutes deux obtenues grâce au procédé Eisbock.

La créativité ne se limite pas au contenu. La BrewDog End of History (55 %) innove : elle se retrouve servie dans un écureuil empaillé, clin d’œil ironique à la surenchère publicitaire. La Snake Venom, elle, s’affiche dans une bouteille entourée de peau de serpent.

Si l’on se concentre sur la fermentation pure, la Samuel Adams Utopias, conçue à Boston, atteint 28-29 % grâce à des levures triées et un vieillissement en fûts de whisky, porto et cognac. À ce niveau, la dégustation devient un rituel : mini-verres, quantités infimes, réservée à quelques privilégiés.

Voici quelques-unes des bières qui ont marqué cette course, chacune avec ses spécificités :

  • Brewmeister Snake Venom : 67,5 % (ajout d’éthanol)
  • Koelschip Start the Future : 60 % (Eisbock)
  • Schorschbräu Schorschbock 57 : 57 % (Eisbock)
  • Samuel Adams Utopias : 28-29 % (fermentation uniquement)

À ce niveau, les frontières s’effacent : la définition de la bière vacille entre prouesse technique, marketing spectaculaire et objet de collection. Les brasseries multiplient les coups d’éclat, brouillant les lignes entre bière, spiritueux et pièce rare.

Bar moderne avec une bière forte dans un verre moderne

Techniques de brassage et défis rencontrés par les brasseurs

La création des bières les plus fortes exige une connaissance pointue de la fermentation et une série d’innovations. Rapidement, un plafond se dresse : la levure, moteur de la transformation du sucre en alcool, ne survit pas au-delà de 18 à 25 %. Pour dépasser ce seuil, il faut oser sortir des sentiers battus.

Le procédé Eisbock en est le parfait exemple. Inspiré d’une tradition allemande, il consiste à congeler la bière, puis à extraire les cristaux de glace (principalement de l’eau), concentrant ainsi l’alcool restant. Cette technique permet d’atteindre des taux spectaculaires, parfois jusqu’à 60 %, comme pour la Schorschbräu Schorschbock 57. D’autres vont plus loin : chez Brewmeister, la Snake Venom doit son record à l’ajout d’éthanol après brassage. À ce stade, la définition légale de la bière devient floue.

La fermentation contrôlée avec des levures spécifiques offre une autre voie. La Samuel Adams Utopias en est le témoin : une sélection rigoureuse de souches capables de résister à des taux d’alcool élevés, puis un vieillissement prolongé en fûts de whisky, porto ou cognac, qui confère à la bière une profondeur aromatique remarquable.

À chaque étape, les brasseurs affrontent des défis de taille : choisir un malt assez robuste, sélectionner des levures adaptées, surveiller la température, jouer avec la durée du brassage, sans négliger l’équilibre des saveurs. La quête de la bière la plus forte du monde est un terrain où prouesse technique et expérience sensorielle se conjuguent, bien loin des codes classiques du brassage.

Qu’on la considère comme une curiosité, une folie ou un exploit, la bière la plus forte du monde continue d’attiser l’audace et l’imagination. Demain, qui relèvera le défi et repoussera encore les frontières du possible ?